Il y a quelques mois, je cherchais à ouvrir un compte bancaire au Royaume-Uni. Faisant partie du groupe de financement durable et environnemental de la British Standards Institution et ayant travaillé sur diverses questions liées à la décarbonisation et à la résilience climatique du secteur financier, je ne suis que trop conscient des enjeux. J'ai donc décidé de ne soutenir qu'une banque ou un prestataire de services financiers dont les politiques et les activités sont claires et ne contribuent pas davantage au dérèglement du climat.
Les banques, ainsi que les fonds de pension et d'investissement, sont de plus en plus mis en avant pour leur contribution au changement climatique. L'argent sur vos comptes bancaires ou votre fonds de pension est potentiellement investi dans la fabrication d'armes, l'exploitation minière, le tabac ou d'autres industries nocives.
La consommation de tout bien ou service a une empreinte écologique et l'empreinte de votre argent ne se limite pas aux matériaux et à l'énergie nécessaires à la fabrication des billets de banque et des pièces. C'est aussi et surtout ce à quoi sert votre argent. Comme l'illustrent les récentes conclusions de la commission d'audit environnemental du Parlement britannique, il n'est pas crédible de prétendre que vous avez réduit vos émissions dans votre pays si vous dépensez des milliards de l'argent des contribuables à l'étranger pour construire des centrales électriques utilisant des combustibles fossiles[1].
En juin 2019, 183 nations (sur 194) ont ratifié l'accord de Paris qui vise à maintenir l'augmentation de la température moyenne mondiale bien en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et à limiter cette augmentation à 1,5°C. Les gouvernements ont pris des engagements ambitieux qui exigent une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 80% par rapport aux niveaux de 1990 d'ici 2050.
Toutefois, si, au fil des ans, les promesses se sont accumulées plus vite que les déchets plastiques dans l'océan et si le nombre d'initiatives publiques, privées et de la société civile a augmenté presque autant que la concentration mondiale des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, nous sommes encore à au moins 1°C de l'objectif le moins ambitieux.
Le secteur financier en première ligne de la bataille
Le secteur financier a contribué à faire évoluer la société intensive en carbone dans laquelle nous vivons. Il a maintenant la possibilité d'alimenter le développement de technologies à faible intensité de carbone et les activités résiliente aux changements climatiques.
Bien que la cession des actifs liés aux combustibles fossiles existants ne soit pas suffisante en soi et ne produise pas toujours les résultats escomptés (les actifs peuvent simplement changer de mains), certains acteurs du secteur financier ont déjà commencé à s'en défaire de leur portefeuille, poussés par les risques financiers et de réputation potentiels. Les possibilités de désinvestissement sont renforcées à mesure que le financement des technologies propres s'est aligné sur les exigences des investisseurs (c'est-à-dire des rendements plus élevés, des risques plus faibles).
Trop nombreux sont ceux qui misent sur la crise climatique
Récemment, une alliance d'ONGs, dont Bank Track et le Rainforest Action Network, a publié Banking on Climate Change [2]. Selon ce rapport, 33 banques mondiales ont financé les combustibles fossiles à hauteur de 1 900 milliards de dollars depuis l'adoption de l'accord de Paris (2016-2018). Les plus gros contributeurs sont présentés ci-dessous :
Pour le pétrole des sables bitumineux : RBC, TD, et JPMorgan Chase
Pour le pétrole et le gaz de l'Arctique : JPMorgan Chase, Deutsche Bank et SMBC Group
Pour le pétrole et le gaz en eaux ultra-profondes : JPMorgan Chase, Citi, et Bank of America
Pour le pétrole et gaz de la roche mère (dit gaz de schiste) : Wells Fargo et JPMorgan Chase
Pour l'exploitation du charbon : China Construction Bank et Bank of China
Énergie au charbon : Bank of China, ICBC, Citi et MUFG
Le diagramme ci-dessous donne un aperçu visuel de ce classement entaché.
Comme vous pouvez le constater, les grandes banques européennes ne sont pas loin derrière les banques américaines, chinoises et japonaises. Paradoxalement, certaines d'entre elles ont des politiques qui limitent le financement de l'exploitation du charbon. Quatre banques britanniques (Barclays, HSBC, Royal Bank of Scotland et Standard Chartered) figurent parmi les 33 premières banques finançant plus de 1 800 entreprises actives sur l'ensemble du cycle de vie des combustibles fossiles.
Bien que les choses évoluent, avec des banques comme la Royal Bank of Scotland et HSBC qui travaillent sur leur politique visant à limiter le financement à certains de ces actifs, une telle évolution reste trop lente et mal adaptée aux efforts requis.
En 2016, ChristianAid a publié un rapport[3] évaluant les plus grandes banques britanniques et leur alignement sur l'accord de Paris. Elle a ensuite évalué leurs performances en matière de politiques visant à accélérer le passage à une économie à faible intensité de carbone. Comme vous pouvez le voir dans le tableau ci-dessous, les performances des grandes banques sont médiocres, les principaux facteurs étant l'absence de plan de transition, les investissements dans les combustibles fossiles et l'absence d'empreinte carbone pour une partie ou la plupart de leurs prêts.
Les banques sur la liste noire du climat
Selon Ethical Consumer[4], une coopérative indépendante et à but non lucratif, 80% des comptes bancaires individuels sont ouverts auprès des cinq grandes banques, celles-là mêmes qui ont le plus mauvais classement sur leur fiche éthique.
Si vous vous sentez responsable de votre argent, il peut sembler logique de ne pas faire affaire avec Barclays, HSBC, Royal Bank of Scotland, Standard Chartered et leurs filiales : First Direct, M&S bank, Halifax, Bank of Scotland, NatWest et Ulster Bank.
Il n'est pas nécessaire d'être un militant pour empêcher que l'argent sur votre compte bancaire soit utilisé pour alimenter la crise climatique, car vous avez encore pas mal d'alternatives.
Des banques éthiques et respectueuses du climat. Vous dites ?
Choose Ltd, un courtier en crédit, définit les banques éthiques comme visant toujours à avoir un impact social et environnemental positif lorsqu'elles recherchent des profits. En plus de ces critères, Ethical Consumer considère l'éthique des banques à travers leurs approches et références en termes de droits de l’homme et des animaux.
Selon les critères considérés, les banques les plus éthiques varient :
Choose Ltd, sans divulguer une méthodologie ou un classement, mentionne les éléments suivants comme étant des banques éthiques opérant au Royaume-Uni : Charity Bank, Triodos Bank, the Co-operative Bank, Handelsbanken, TSB et l'Ecology Building Society ainsi que les coopératives de crédit et les sociétés de construction (BS) en général ;
Le Good Shopping Guide[5], qui compare les marques éthiques, utilise une matrice a 9 critères pour mener à cette liste de banques éthiques Ecology BS, Leeds BS, Newcastle BS, Allied Irish Banks, Coventry BS, Nationwide BS et Skipton BS ;
Ethical Consumer fournit l'évaluation la plus complète et considère l'évasion fiscale, les investissements dans les combustibles fossiles, les investissements en Israël comme particulièrement nuisibles. Charity Bank, Ecology BS, Triodos, Leeds, Coventry, Cumberland, Nationwide BS et autres 'Building Societies', Clydesdale, Co-op, Metro Bank figurent parmi les mieux notées et considérées comme respectueuses du climat. Cependant, la seule qui semble actuellement investir sérieusement dans les énergies renouvelables est Triodos.
Alors que Ethical Consumer appondrait petit à petit les impacts climatiques des banques, aucune recherche spécifique n'est disponible publiquement à ce jour.
La définition de prestataires de services financiers respectueux du climat implique des considérations multiples et parfois complexes :
Son impact sur l'atténuation du changement climatique : investit-il dans des combustibles à forte intensité carbone ou dans des produits de base favorisant la déforestation (ex : huile de palme) ? Contribue-t-il au financement d'une transition vers une économie à faible intensité carbone ? Mesure-t-il l'empreinte de ses activités de prêt ? Ou dispose-t-il d'un plan de transition pour éliminer progressivement tout investissement à forte intensité carbone ?
Son impact sur l'adaptation au changement climatique : aide-t-il les individus ou les entreprises à s'adapter aux changements climatiques et à devenir plus résilients ? Veille-t-il à ce que les modèles climatiques soient pris en compte lors du financement de nouvelles infrastructures ou de nouveaux projets ?
Son propre impact direct : mesure-t-il, rapporte-t-il, réduit-il ou même compense-t-il les impacts de ses propres opérations ? Dispose-t-il de politiques spécifiques pour réduire sa consommation d'énergie et les impacts de ses centres de données ?
Et même si ShareAction, une organisation 'caritative' qui promeut les pratiques d'investissements responsables, semble se féliciter des améliorations apportées à la divulgation des informations relatives au climat, ces informations sont encore très fragmentées et ne sont pas accessibles publiquement ou facilement. La transparence est essentielle pour lutter contre la crise climatique.
Les banques et les services financiers les plus vertueux pour le climat
Si vous êtes au Royaume-Uni et que vous cherchez un compte bancaire, vous avez encore quelques options pour des opérations personnelles ou professionnelles durables et éthiques.
Sociétés de construction et coopératives de crédit
Il s'agit d'institutions financières appartenant à ses membres en tant qu'organisation mutuelle. Elles agissent souvent de manière plus éthique car les réglementations limitent les montants qu'elles peuvent investir dans certains secteurs et parce qu'elles investissent leurs bénéfices au profit des emprunteurs et des épargnants plutôt que des actionnaires. Au Royaume-Uni, elles sont nombreuses, locales pour beaucoup, et les plus importantes sont : Nationwide, Cumberland, Yorkshire et Coventry Building Societies.
Les coopératives de crédit sont également considérées comme éthiques car ce sont des coopératives financières détenues et gérées par leurs membres.
Banques traditionnelles
Les banques qui ne sont pas sur la liste noire pour leurs activités nuisibles au climat incluent, mais ne sont pas limitées à :
Handelsbanken, classée par certains comme une banque éthique mais dont les investissements dans les combustibles fossiles représenteraient environ 70% de leurs fonds[6] ;
La Danske Bank, une banque danoise active au Royaume-Uni, pour laquelle aucune évaluation n'a été effectuée, mais qui a fait l'objet de toute une série de discrédits éthiques ;
La Bank of Ireland, a connu toute une série de controverses mais a une politique environnementale qui semble ambitieuse sur le papier en ce qui concerne la réduction des impacts environnementaux de ses activités. Elle n'a cependant pas pris l'engagement de cesser de financer des activités néfastes pour le climat ;
Metro Bank, cette nouvelle banque n'a pas de "politique environnementale sur mesure", ne semble pas avoir de politique d'investissement claire et transparente et ne s'est pas engagée à ne pas financer des activités nuisibles pour le climat ;
Les Yorkshire and Clydesdale Banks, bien qu'elles soient généralement bien classées parmi les examinateurs de finance éthique, ces banques n'ont pas de restriction spécifique sur les activités bancaires dont le secteur est potentiellement nuisible pour le climat ;
TSB, la banque qui a été relancée en 2013, utilise l'argent investi par ses clients pour financer des prêts et des hypothèques aux personnes et entreprises locales et ne dispose pas d'une banque d'investissement ou de financement des entreprises ;
La Co-operative Bank, semble être la seule grande banque engagée dans la lutte contre le changement climatique et qui déclare qu'elle "ne fournira pas de services bancaires à toute entreprise dont l'activité principale contribue au changement climatique mondial, via l'extraction ou la production de combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz et gaz de schiste), en incluant la distribution des combustibles qui ont un impact plus important sur le réchauffement climatique (ex : les sables bitumineux et certains biocarburants)".
Des solutions financières modernes
À l'ère du numérique dans laquelle nous vivons, vous avez maintenant encore plus d'options pour vos opérations bancaires. En fait, il n'est plus nécessaire que ce soit une banque. Il existe des applications mobiles qui offrent, dans une certaine mesure, des services similaires aux banques traditionnelles pour une offre souvent plus compétitive. Il s'agit notamment de CashPlus, Revolut, Coconut, Starling Bank, Anna Bank, Tide, Counting Up et Fair Everywhere. Ces services bancaires utilisent généralement les dépôts des clients pour prêter à d'autres clients sous forme de découverts et de prêts.
Bien que ces banques et prestataires de services financiers ne soient pas aussi mauvais que les grands, on ne peut pas garantir qu'ils ne financent pas les entreprises locales ayant des pratiques peu respectueuses du climat ou qu'ils fassent de grands efforts pour aider à financer l'adaptation au changement climatique. En outre, l'impact cumulé de leurs pratiques ne peut être comparable aux dommages causés par les grandes banques.
Il reste beaucoup à faire pour que les entreprises et les sociétés prennent des mesures plus fermes en faveur de la protection du climat au niveau mondial et offrent à leurs clients la transparence dont ils ont besoin pour faire des choix éclairés.
Comme le choix d'une banque ou d'un prestataire de services financiers implique la prise en compte de multiples paramètres, je ne peux pas donner de conseils sur une seule option. Cependant, en règle générale, vous pouvez envisager :
Une société de construction ou une coopérative de crédit si vous en avez une localement, là où vous vivez, et que vous n'avez pas de besoins bancaires sophistiqués : Nationwide, Cumberland, Yorkshire et Coventry Building Societies semblent être de bonnes options ;
Une banque qui s'est clairement engagée à lutter contre le changement climatique et qui offre une couverture géographique plus large : Triodos semble offrir une grande intégrité, mais la Co-operative Bank peut également être satisfaisante ; et
Un fournisseur de services basé sur des applications qui offrira une certaine flexibilité lors des voyages, des achats en ligne ou de la connexion avec d'autres applications web : la Starling Bank et Monzo sont deux options crédibles.
Lorsque vous pouvez aligner vos choix de consommation sur vos valeurs et prendre des décisions qui renforcent les moyens de production et de consommation durables tout en obtenant un meilleur service, il est temps de changer !
SOURCES :
[1] House of Commons Environmental Audit Committee, UK Export Finance, Nineteenth Report of Session 2017–19
[2] Banking on Climate, fossil fuel finance report card 2019 (Rainforest Action Network, BankTrack, Indigenous Environmental Network, Sierra Club, Oil Change International and Honor the Earth, 2019)
[3] Our future in their plans (ChristianAid, 2016)
[4] Ethical Consumer, current accounts: https://www.ethicalconsumer.org/money-finance/shopping-guide/current-accounts
[5] The Good Shopping Guide: https://thegoodshoppingguide.com/ethical-rankings-banking
[6] Handelsbanken sustainability report: https://www.banktrack.org/download/sustainability_report_2017_5/sustainability_report_2017_1.pdf